Les Amérindiens

La Piste des Larmes

La piste des larmes, l’autre route de l’Amérique


Lorsqu’on parle de route mythique aux Etats-Unis, bien entendu, vient tout de suite à l’esprit la route 66 (3945 kilomètres). Elle est l’icône de la nouvelle Amérique, unie et aventurière. Reliant Chicago à Los Angeles, elle a encouragé des milliers d’Américains à prendre la route pour explorer leur pays. Dénommée « The mother road », elle a nourri une littérature abondante. Citons parmi tant d’autres ouvrages :

– Jack Kerouac : « La route ». Dans lequel l’auteur adoptant un ton rythmé très « road-movie », y relate son périple à travers les États-Unis de New York à la Côte ouest, en compagnie de quelques autres icônes « Beat generation1 » parmi lesquelles Allen Ginsberg, Neal Cassady ou William Burroughs que l’on reconnait facilement bien qu’ils ne soient jamais nommément cités, Kerouac préférant utiliser des noms d’emprunt.

– John Steinbeck : « Les raisins de la colère ». L’auteur y relate l’exil de la famille Joad, de pauvres métayers de l’Oklahoma, chassés sur la Route 66 par la Grande Dépression et les conditions climatiques extrêmes. Ils s’y retrouvent avec des milliers d’autres « Okies » en quête de l’Ouest, de Californie et de promesses de vie meilleure.

Aujourd’hui, elle a perdu de sa superbe, de grandes portions sont devenues impraticables. Elle survit grâce au tourisme et prendre la route 66, c’est plonger dans l’Amérique des années 50, dont certains endroits semblent s’être gelés à cette époque. C’est goûter à l’Amérique profonde de Kerouac, du Train sonnera trois fois…

Cependant, il existe une autre route moins connue, moins glorieuse. Et pour cause, elle appartient au côté sombre de l’histoire des Etats-Unis. Elle est moins longue (environ 1500 kilomètres), elle va de Charleston en Géorgie à Tahlequah en Oklahoma. Elle fut empruntée notamment par les Indiens Cherokee chassés de force en 1838 par les nouveaux maitres du continent. Entre 1838 et 1839, sans doute plus de quatre mille personnes ont périt au long de cette route qui a reçu en anglais le nom de « Trail of tears » et en Cherokee le nom de Nunna daul Isunyi, « La piste où ils ont pleuré ».

La dénomination  » Piste des larmes » ne vient pas des pleurs versés par les Cherokees pendant leur marche sur la Piste, mais de la compassion ressentie par ceux qui les voyaient passer pour leur voyage vers « Indian Territory » et comment ils en étaient arrivés là? Quand ils voyaient la tragédie se dérouler devant eux, et comment le peuple Cherokee était traité, ils pleuraient pour eux.

Destinée manifeste et destinée fatale.

Nul ne nie aujourd’hui que les nations indiennes ont subi, au cours des XVIIIème et XIXème siècles, un véritable génocide. Souvent présenté comme le résultat d’un appétit toujours grandissant de terres, de la part des migrants venus en nombre de la « vieille Europe », il n’aurait peut-être pas eu lieu, s’il n’avait pas été soutenu par l’idée de la « destinée manifeste ». L’expression « Manifest Destiny » (littéralement « Destinée Manifeste » en anglais) a été employée pour la première fois par le journaliste John O’Sullivan en 1845 dans un article publié dans United States Magazine and Democratic Review. Dans cet essai, il plaidait en faveur de l’annexion du Texas par les États-Unis. Pour reprendre ses termes exacts : « C’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. ». Cette croyance en une mission particulière a eu d’importantes conséquences sur l’histoire du pays. Cette influence est en partie expliquée par le fait que l’idée, même si elle n’a été clairement formulée qu’en 1845, était déjà enracinée dans l’esprit des Puritains qui se sont installés aux États-Unis au XVIIème siècle. En effet, les habitants de la Nouvelle-Angleterre se voyaient comme les élus de Dieu. Par conséquent, ils pensaient avoir une mission providentielle : ils devaient construire un pays exemplaire. En conséquence, les Indiens, dont la civilisation était à des années lumières de celle des pères fondateurs étaient condamnés à s’adapter ou à disparaître. La « destinée manifeste » devenait, pour les Indiens, la destinée fatale. La route des larmes n’est qu’un épisode parmi tant d’autres de cette destinée fatale.

La nation Cherokee

Lorsqu’en mai 1830, le président Andrew Jackson promulgue le décret de déportation des Indiens à l’ouest du Mississippi, l’ »Indian Removal Act ». Les contacts entre les colons et les Cherokee sont déjà anciens. Vers la fin du XIXème siècle, la nation cherokee va prendre une autre voie. N’ayant pu résister aux assauts des Blancs et protéger son mode de vie, elle va s’engager sur « la voie de la Civilisation ».

Grâce à leur travail, à leur habileté et à leur solidarité tribale, les Cherokees parviennent en une vingtaine d’années à un niveau de prospérité fort enviable. Ils fondent une capitale, New Echota, en souvenir de leur ville détruite.Nombre de Cherokees ont des fermes, de belles plantations qui excitent la jalousie de leurs voisins blancs. Sequoyah2, invente un alphabet qui fait de la langue cherokee la première langue indienne écrite. Ils éditent un journal le « Tsalagi Phoenix » écrit en cherokee et en anglais. Ils ont des écoles où l’on travaille dans les deux langues. Ce sont les premières écoles mixtes d’Amérique. Beaucoup de Cherokees sont devenus chrétiens. Ils ont adopté les habitations, le vêtement, le mode de vie des Blancs. La tribu compte de nombreux métis qui, pour la plupart, possèdent la richesse et ont fait des études qui leur permettent de négocier avec les Blancs. Plusieurs centaines de Blancs mariés à des Cherokees vivent parmi eux. Cependant, à partir de 1830, une vive pression s’exerce sur les Cherokees pour qu’ils partent, surtout depuis que de l’or a été découvert sur leur territoire. L’état de Georgie fait procéder à l’arpentage des terres cherokees qui doivent être attribuées aux colons par tirage au sort. La garde nationale de Georgie effectue des raids de terreur dans les villages cherokees. Le président Jackson répète que la seule solution pour les Indiens est l’exil. Profitant d’une division au sein du peuple Cherokee, le gouvernement des Etats- Unis parvient, en décembre 1835 à faire signer par une minorité le traité de New Echota par lequel la Nation Cherokee s’engageait à migrer.

La piste où ils ont pleuré.

En juillet 1838, le président Jackson ordonne l’expulsion des Cherokees par la force. Ceux qui avaient gardé leurs maisons et leurs champs en sont brutalement chassés. En attendant leur départ, des milliers d’Indiens sont parqués dans des enclos dans des conditions épouvantables. Des enfants sont capturés par la garde nationale pour obliger leurs parents à se rendre. Au début de l’automne, au nombre d’environ vingt mille, les Cherokees sont acheminés vers l’ouest par petits groupes. Avant de partir, ils embrassent les arbres qui entourent leurs demeures, comme des amis qu’ils ne reverront plus. Certains ont des chariots où l’on entasse enfants et bagages. La plupart vont à pied, poussés par les baïonnettes des soldats. Les habitants blancs des régions traversées se livrent à toutes sortes de violences sur les déportés, et les soldats ne font guère d’efforts pour les protéger. Bientôt le froid et la neige s’ajoutent à la maladie, à la faim et à l’épuisement. Les Indiens meurent par milliers le long de ce qu’ils appelleront la « Piste des Larmes ». On estime qu’au moins un quart des Cherokees aura trouvé la mort pendant leur rassemblement et leur voyage vers le nouveau Territoire Indien.

Reconstitution et perte d’un nouveau territoire

Les Cherokees tentent de reconstituer leur vie et leur nation déchirée. Ils ont de bonnes terres dans l’est du Territoire Indien. L’état américain leur a versé d’importantes indemnités qui permettent aux métis instruits et influents de restaurer leurs belles propriétés. Les plus pauvres sont assurés d’une petite ferme.

Des Blancs de plus en plus nombreux s’installent sur les terres indiennes, amenés par le chemin de fer qui traverse le Territoire Indien. Des mines sont ouvertes, des villes surgissent. Dans les années 1880 la pression pour une ouverture aux Blancs du Territoire Indien devient irrésistible. En 1889, les terres cherokees sont réparties en lots individuels entre les membres de la tribu, en application de la loi Dawes, et ce qui reste est ouvert aux colons. C’est la première « ruée pour la terre » une course durant laquelle les colons s’efforcent de s’assurer les meilleurs lots. En 1890, le Territoire d’Oklahoma est constitué avec ces terres « ouvertes à la civilisation ». La loi de Réorganisation

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Indienne de 1934 permet aux Cherokees de reconstituer un gouvernement autonome. Mais les territoires accaparés par les Blancs sont à jamais perdus. Les terres cherokees d’Oklahoma, qui n’ont pas le statut de réserve, sont cependant sous la protection du gouvernement fédéral (trust lands).

Il a fallu attendre décembre 2009 pour que le président des États-Unis, Barack Obama, signe une loi présentant des excuses officielles aux Amérindiens. Et encore ! La loi a été promulguée en catimini, ne faisant l’objet d’aucune déclaration publique ou conférence de presse. Si bien que ces excuses restent ignorées de la majorité des Américains. Pourtant les Cherokees, dont la population s’élève à 300 000 individus, constituent la plus importante tribu amérindienne. De plus, nombre d’Américains ont des origines cherokees. C’était le cas d’Elvis Presley et de Jimi Hendrix, et aujourd’hui celui de Tina Turner, de Kevin Costner, de Johnny Depp, de Cameron Diaz ou encore de Quentin Tarantino.

Pour aller plus loin :
Un site consacré à la naissance des USA :

http://medarus.org/NM/NMTextes/nm_01_00_precol.htm

Sur le mythe de la destinée manifeste :

La piste des larmes a inspirée un épisode de la Jeunesse de Blueberry : Le sentier des larmes.http://www.babelio.com/livres/Corteggiani-La-jeunesse-de-Blueberry-tome-17–Le- sentier-des-/101282

Bernard Vincent – Le sentier des larmes, le grand exil des indiens Cherokees-Éditeur : FLAMMARION (04/10/2002)

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